Bernay : Julien, Gaston et Ernest

Quand je vais à Bernay, « charmante petite cité de l’Eure », je ne manque pas d’aller faire un tour au magnifique cimetière de la Couture, autour de l’abbaye du même nom « joyau de l’architecture gothique de la fin du Moyen-Âge », dixit la Fondation du Patrimoine https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/eglise-notre-dame-de-la-couture

Je me recueille sur la tombe de Julien (que sa mère visiblement inconsolable orne d’une foule de fleurs, de jouets et d’objets kitsch), celle de Gaston (Lenôtre – qui elle, brille par sa sobriété) et une autre avec cette délicieuse épitaphe « Mon père ré au ciel ». Pendant ma déambulation, un ami m’appelle. Je lui dis où je suis. Il me répond « es-tu allée à l’intérieur ? ». Moi : « hey, vazy, plein de fois ! ». « Récemment ? Tu as vu l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest ? » ajoute Paul. Ouate ! Ernest, dans la basilique ! Nous nous y retrouvons et il me présente l’œuvre installée sur le bas-côté depuis juin 2023.

Je me souviens qu’en 2022, Ernest Pignon-Ernest avait sublimé l’abbatiale de Bernay avec ses Extases, dessins grandeur nature de ces femmes amoureuses du Christ, se reflétant dans un miroir d’eau. L’artiste mondialement reconnu, avoue avoir été lui-même « marqué par cette exposition » et qu’il a rarement eu « autant de retours sur ce travail difficile ». L’écrivaine Nancy Huston et l’humoriste François Morel lui en ont même parlé ! « Je n’avais pas l’intention d’exposer à nouveau les Extases, je ne pensais pas que cela pourrait être mieux qu’à Naples », confie l’artiste dont la fascination pour les grandes mystiques trouve son origine dans la cité italienne chère à son cœur et il exprime parfaitement la contradiction qui les traverse sur le refus de la chair, « elles qui s’affirment comme les épouses du Christ tout en partant en lévitation ». 

J’avais donc raté cette expo, initiée par Pierre-Louis Basse, journaliste et écrivain né en Bretagne, auparavant résident de l’île aux Moines et maintenant de Bernay https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Louis_Basse. Satisfait de la venue de « 10 000 visiteurs à l’abbatiale, un succès et la preuve que montrer le plus haut niveau de la beauté, dans une cité comme Bernay, cela marche. On a assumé une mission de service public » souligne l’ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée qui estime que cette œuvre est « la plus réussie d’Ernest Pignon-Ernest ». Pour organiser l’événement en 2022, il a créé l’association A l’air libre dont l’action se prolonge avec cette œuvre pérenne.  Avec l’aval de Pignon-Ernest et le soutien très actif d’André Siegel, le collaborateur de l’artiste, l’abbaye de Bernay se donne des airs napolitains … ad vitam aeternam !

MCB

Description de l ‘œuvre

La mémoire d’Extases, accrochée dans l’un des bas-côtés de la basilique, est un triptyque. Marie de l’Incarnation et Thérèse d’Ávila entourent une photo de 5 x 3 m, une impression numérique représentant l’installation réalisée en 2022. « On a positionné l’œuvre côté sud pour éviter qu’il y ait trop de lumière. Elle a été placée sur un châssis bois et aluminium pour apporter de la rigidité et éviter les déformations causées par l’humidité » selon André Siegel. Et de préciser : « Ernest est plutôt dans un travail politique et poétique. Ici, il y a tout, le spirituel, le philosophique, l’intellectuel… 

Samedi 24 juin, l’œuvre a été dévoilée au cours d’une veillée contre la torture, « une sorte de messe laïque », suivie d’un concert.

 

Ernest Pignon-Ernest à Landerneau

 Comme je le disais dans mon billet du 2 août 2022, il était partout. Tout du moins en Normandie et en Bretagne. L’expo de Bernay (Eure) se terminait le 18 septembre. À Landerneau, le pur bonheur de déambuler dans cette œuvre, si belle, si forte, si engagée s’est prolongé jusqu’au 15 janvier 2023. Reste un magnifique catalogue, toujours en vente (35€) à la librairie du fonds Leclerc www.fonds-culturel-leclerc.fr

Qui est Ernest Pignon-Ernest ?

Ce pionnier de l’art urbain est né à Nice en 1942. Il a interrompu ses études à 15 ans et a travaillé pour un architecte, ce qui aiguisa sa pratique du dessin et son regard sur l’espace. Il intervint pour la première fois « in situ » en 1966 sur le Plateau d’Albion dans le Vaucluse. À partir de la photo de l’ombre portée de l’homme foudroyé par l’éclair nucléaire d’Hiroshima, il imprime des pochoirs sur les murs, les rochers, les routes qui mènent à l’installation de la force de frappe atomique.
Depuis les années 1970 il vit à la Ruche, cité d’artistes du 15e arrondissement de Paris et dispose d’un atelier à Ivry-sur-Seine (94).
Il investit les rues, leur mémoire, leurs spécificités en inscrivant des dessins à la pierre noire ou des sérigraphies dans des lieux soigneusement choisis et étudiés, les transformant en l’œuvre même. Ses images de poètes – Maïakovski (1972), Rimbaud (1978), Neruda (1981), Jean Genet (2006), Mahmoud Darwich (2009), Pasolini (2015) –, ou de sujets de société : l’apartheid lors du jumelage entre Nice et Cap Town (1974), la libéralisation de l’avortement (1974), l’immigration (1975), la pandémie de Sida en Afrique du Sud (2002)… sont devenus les symboles de ce qu’elles figurent. Depuis sa première exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1979 Ernest Pignon- Ernest a présenté ses travaux en France et dans le monde (Palais des Beaux-Arts de Pékin, Biennale de Venise, Pinacothèque de Munich, Palais des Papes d’Avignon, MAMAC de Nice et aussi, à Alger, Santiago, Ramallah, Bruxelles, Rome, Naples, Joannesburg…).
Il a réalisé aussi de nombreuses scénographies pour le théâtre avec Michel Vinaver, Alain Françon, André Benedetto et pour les ballets de Monte-Carlo et du Bolchoï de Moscou avec Jean Christophe Maillot.

« Ce que je fais c’est un peu comme composer un tableau ou réaliser un montage. Ma palette ce sont les lieux, les lieux et leur histoire. Je tente d’en capter, d’en comprendre l’espace, la lumière, la couleur des murs, leurs textures, c’est-à-dire, en peintre et en sculpteur d’appréhender tout ce qui s’y voit. Et simultanément d’en saisir aussi et surtout tout ce qui ne s’y voit pas, ne s’y voit plus : l’histoire, la mémoire enfouie. Mes images naissent de cette investigation et leur insertion dans ces lieux vise à en faire des espaces plastiques et poétiques, et par ce qui est figuré à en révéler, perturber… exacerber le sens et la symbolique, la force suggestive.
On a dit souvent que je faisais des œuvres en situation. En fait, je fais œuvre des situations »

À Landerneau, il présentait ses installations, ses dessins, ses photographies, illustrant l’ensemble de son processus de création. L’expo rassemblait plus de trois cents œuvres du grand artiste, alerté par l’état du monde, soulevé par sa passion pour l’art et la poésie, un créateur complexe admiré par les plus grands penseurs et poètes d’aujourd’hui et longtemps tenu à l’écart des institutions.

Ces images sont désormais célèbres car elles sont devenues l’identité  familière d’un poète, d’un combat ou d’une situation. Écrivains, résistants, mystiques, chefs-d’œuvres du passé collés dans les rues de Naples ; victimes à Soweto, Haïti, Grenoble; solitudes à Lyon, à Paris ; les collages d’Ernest Pignon-Ernest réalisés souvent dans des situations complexes à Alger, Port au Prince, Ramallah ou Avignon sont devenus les images rémanentes des émotions que ces figures ou ces détresses inspirent. Installés dans les rues de ces villes, ses dessins semblent naître des murs mêmes où il les a placés pour se glisser dans nos vies, dans notre esprit. Difficile de penser à Rimbaud ou à Pasolini sans que leurs silhouettes ne s’imposent à nous telles qu’Ernest Pignon-Ernest les interpréta.

Le parcours à Landerneau permettait de découvrir un artiste profond, complexe, radical et soucieux de l’humain. Vous pouvez en lire le complément sur mon blog

https://www.mariechristinebiet.com/2022/09/08/22-vla-les-expos-9-suite-et-presque-fin/

 

En (sa)voir plus

 Sur Pierre-Louis Basse (il prépare un livre sur les Jeux olympiques, « avec des grandes figures de l’Olympie ». Sortie prévue en 2024, sous le titre (provisoire) « La beauté du geste »)   https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Louis_Basse

https://www.youtube.com/watch?v=A7Sk_dDn07U

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-heure-bleue/l-heure-bleue-du-lundi-18-avril-2022-7056303

https://actu.fr/normandie/bernay_27056/bernay-une-oeuvre-monumentale-dernest-pignon-ernest-va-etre-devoilee_59764226.html

 


1 commentaire

Catherine BERRANGER · 10 août 2023 à 22 h 21 min

Ton billet est très agréable à lire et intéressant, comme d’habitude. Malheureusement je ne souscris pas à l’éloge de Pignon-Ernest. En effet, j’appréciais beaucoup son travail et ses engagements exprimés dans son art, jusqu’au jour où j’ai découvert que c’était un ardent défenseur de la corrida. Et ça, pour moi, c’est rédhibitoire…

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