Étonnants donateurs

 

Au jour où l’exposition du musée des Beaux-Arts de Rennes devait cesser (17 mai), j’entreprends de vous parler de cette expo aussitôt inaugurée … aussitôt fermée ! Quelle tristesse pour ses organisateurs, ses visiteurs et les fameux donateurs qui n’ont pas eu le loisir de venir à Rennes le 13 mars. Ils pourront se consoler à partir de la mi-juin (théoriquement). Et ce jusqu’à la fin de l’été (re-théoriquement) !

Son intérêt est de nous dévoiler comment un musée vit et comment il enrichit ses collections. Il existe quatre filières principales : les achats par le musée, les dons de la société des amis du musée (la SAMBAR), et ceux des collectionneurs et des artistes eux-mêmes. Pour ces deux derniers cas, une commission statue sur la pertinence de ces dons potentiels.  Ainsi, il est peu probable que mes « Raphaël » soient acceptés, malgré les talents précoces de mon fils.

Cette expo permet à la fois de souligner quelques-uns des axes forts qui fondent l’identité du musée (peinture classique, arts graphiques, art moderne et contemporain), des découvertes ou redécouvertes récentes (Émilie Charmy) et le moment de basculement où le musée prend en charge le relais de la mémoire des artistes ou des collectionneurs pour le temps long. Des capsules vidéo épatatantes viennent documenter l’environnement familier des donateurs et les motivations de leur acte de générosité. La variété des interventions nous fait entrer dans le jardin secret des donateurs à l’origine de ces libéralités : de l’aristo grand siècle aux anciens conservateurs de musée (Michel Laclotte, Sylvie Blottière) ou des monuments historiques (François Macé de Lépinay) aux marchands d’art (Nicolas Schwed, Etienne Bréton…)  ou au journaliste (Didier Rykner). Leur point commun : leur délectation à s’immerger dans l’art et leur désir de partager leur implication.

Si les Rennais savent que l’origine de leur musée doit beaucoup au parlementaire Christophe-Paul de Robien, ils connaissent moins l’ampleur de la donation faite en 2015 et 2019 par Michel Laclotte, natif de Saint-Malo au parcours prestigieux dans l’univers des musées, notamment au Louvre https://www.artnewspaper.fr/interview/michel-laclotte-j-ai-eu-beaucoup-de-chance

Lui n’a pas donné (encore !) d’œuvres au musée mais Guillaume Kazerouni a donné beaucoup de sa personne pour y faire entrer des oeuvres remarquables. C’est grâce à la passion et à la volonté du jeune conservateur que sont entrés le Saint-Mathieu de Jusepe de Ribeira et l’esquisse de Cornélie, mère des Gracques de Joseph Benoit Suvée.

Le musée a joué un rôle considérable dans la reconnaissance de Félix Jobbé-Duval, un des plus importants artistes bretons du XIXe siècle. Une campagne originale de mécénat avait été imaginée : création d’une boutique en ligne où des particuliers ou des entreprises pouvaient choisir individuellement le ou les dessins dont ils souhaitaient financer l’achat. Ainsi 200 donateurs ont pu s’impliquer avec des dons de 50 à 500 euros. À cette occasion, le Musée a publié le premier livre entièrement dédié à la vie et l’œuvre de ce Jobbé-Duval.

https://www.latribunedelart.com/armand-felix-jobbe-duval-1821-1889

 

Depuis le XIXe siècle, la Bretagne a été une source d’inspiration et une terre féconde pour de nombreux artistes. La création de l’école régionale des Beaux-Arts de Rennes dans les dernières années du XIXe siècle et les grands chantiers de l’entre-deux- guerres ont contribué à créer une dynamique particulière entre 1900 et 1938. Fortement ancrées dans l’esprit de cette époque et reflétant en particulier les ambitions d’une ville qui entrait dans la modernité sous le mandat de son maire Jean Janvier (1908-1924), les œuvres de Camille Godet, Emmanuel Fougerat, Ernest Guérin ou Jean-Julien Lemordant sont autant de pages de l’histoire de la ville et de l’époque. Ainsi, les dessins de Jean-Julien Lemordant (autre natif de Saint-Malo) rappellent de façon saisissante l’épisode de la Première Guerre mondiale. Rappelons que son fabuleux décor peint pour le Café de l’Epée vaut à lui seul la visite au musée de Quimper http://www.mbaq.fr/fr/nos-collections/peintures-d-inspiration-bretonne/lemordant-decor-pour-l-hotel-de-l-epee-a-quimper-519.html

 

Sans vouloir jouer l’air de « C’était mieux aaavant », on ne peut que déplorer la rareté de commandes du milieu hôtelier aux artistes contemporains. On se réjouit que le décor peint par Ernest Guérin pour l’hôtel Moderne de Rennes entre progressivement au musée, par fragments. Dans la même lignée, les œuvres de Camille Godet s’ajoutent à la donation faite en 1990 par sa fille https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_Godet. Quant à Emmanuel Fougerat, ses études pour Au Canada rejoignent le tableau définitif qui compte parmi les chefs-d’œuvre de l’artiste https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Fougerat

 

Un très bel accrochage est réservé aux « macintoshages » de Raymond Hains. L’artiste né à Saint-Brieuc a été connu dès 1949, avec Jacques Villeglé, pour son travail de prélèvement d’affiches lacérées dans la rue. Il fait partie des artistes fondateurs du « Nouveau réalisme » fédéré par le critique d’art Pierre Restany en 1960. En 1997, fasciné par la profusion des images, Raymond Hains se saisit de celles qui commençaient à circuler sur Internet, pour réaliser ses premiers Macintoshages. Faisant référence au Macintosh qui lui sert d’outil, il prélève, rapproche et manipule textes et images en s’appuyant sur des rencontres aléatoires de formes et d’idées, dans un esprit hérité du surréalisme. Cette série complète de 13 Macintoshages, offerte au Musée des beaux- arts, constitue un ensemble exceptionnel. https://www.templon.com/new/artist.php?la=fr&artist_id=69

 

Tout aussi réjouissante est la place donnée à deux artistes rennais :

       Clotilde Vautier, disparue à 28 ans, des suites d’un avortement clandestin. Une tragédie finement racontée par sa fille Mariana Otero dans Histoire d’un secret  http://www.marianaotero.com/biographie

https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/clotilde-vautier-artiste-femme-1454175.html

       Mariano Otero. On découvre là le peintre des danseurs de tango et des baigneuses de Dinard. J’aimais beaucoup cet artiste disparu l’été dernier

 https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-le-peintre-des-femmes-mariano-otero-s-en-est-alle-6437848

Les vivants trouvent aussi leur place – ouf ! Signalons la présence de Jean-Charles Blais, Guillaume Pinard, Vincent Gicquel et surtout un artiste cher à mon cœur, Loïc Le Groumellec. Régulièrement exposé chez Françoise Livinec, et chez Karsten Graeve à Paris, il était ignoré des collections du FRAC Bretagne, ce qui me rendait perplexe. Merci donc à Sylvie Blottière d’avoir comblé cette lacune dans le musée de la ville où il a fréquenté l’école des beaux-arts.

http://francoiselivinec.com/fr/artistes/bio/5/loic-le-groumellec https://galerie-karsten-greve.com/fr/exhibition/loic-le-groumellec/les-reposoirs-de-la-procession-9-mars-11-mai-2019/fr-0

MCB

 

 


1 commentaire

Dix raisons de ne pas aller à la plage – Marie-Christine BIET · 10 juillet 2020 à 18 h 28 min

[…] une initiative très sympa qui associe 34 commerçants à l’exposition dont je vous ai parlé sur https://www.mariechristinebiet.com/2020/05/18/de-lart-ils-donnent-et-nous-etonnent/ Un parcours à faire au gré de ses envies (des chocolats chez Durand, une pasta chez Vino e gusto, […]

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