Aujourd’hui, j’ai le plaisir de partager avec vous la lettre que m’a envoyée Roselyne Veissid, une consœur journaliste.

Roselyne est venue en Bretagne à l’âge de 22 ans, pour un mois, afin de faire plus ample connaissance avec sa famille maternelle… et elle n’en est pas repartie ! Elle a travaillé comme journaliste «localière » au Télégramme pendant plus de 35 ans. Désormais retraitée, elle collabore occasionnellement à Bretagne Magazine.

« Tapie dans mon centre-Bretagne comme une araignée dans sa toile, j’aime aller « explorer » la Bretagne dans toutes les directions, voire à l’occasion des destinations plus lointaines avec ma chère Choupette, la caravane Eriba Puck… »

Vivement la fin du confinement pour qu’on puisse croiser Roselyne avec sa caravane-coquille (ça a plus de gueule qu’un camping-car, non ?) !

« Je me souviens d’une vieille femme en noir ployant sous un énorme fagot, et de l’expression apitoyée de ma mère : cette femme était sa tante. Ramenée exceptionnellement « au pays » par un événement familial, ma mère nous traînait de hameau en chaumière, où chaque fois se répétait l’immuable rituel : le café, le vin blanc, les crêpes que l’on ne pouvait refuser sans commettre une terrible offense. Petite fille dégingandée avide de grand air, je m’ennuyais ferme et rêvais de la mer toute proche, mais la politesse (et l’autorité maternelle !) nous commandaient d’écouter patiemment les conversations des « vieilles personnes » (quel âge pouvaient-elles avoir ? La soixantaine ?) et de répondre à leurs sempiternelles questions sur l’avancement de nos études. J’étais aussi secrètement fascinée, sidérée de me découvrir une parenté avec ces paysans à la voix rocailleuse, héritiers d’un monde que j’avais entraperçu dans mes livres de lecture. 

J’ai été élevée au temps du chauffage central, de la machine à laver, de la télévision en noir et blanc (deux chaînes, c’était bien suffisant, puisque de toute façon, il fallait choisir…) et des pantalons à pattes d’éléphant, dans un confort appréciable mais sans opulence. « On voit bien que vous n’avez pas connu la guerre ! » protestait ma mère devant une assiette non terminée ou un quignon de pain abandonné.  Elle, bien sûr, l’avait subie, dans ce village du pays de l’Aven où nous faisions des visites si rares que chacune d’elles m’a marquée à jamais. 

La vie dans une banlieue plutôt aimable nous était facile et joyeuse, quoique non exempte de tensions familiales. Déjà, le Prisunic était le but de nos expéditions hebdomadaires, alors que les Poppies, chorale enfantine à grand succès, proclamaient dans les haut-parleurs que « Non, non, rien n’a changé, tout tout a continué, hé hé ! ». Nous étions avides de tout : de friandises, de jouets, de vêtements aux couleurs vives (l’orange triomphait !). C’est là qu’eut lieu un jour une emplette, que dis-je, une cérémonie, menée par ma mère avec sérieux et compétence : l’achat de mon premier soutien-gorge. Pour les autres aspects de ma féminité naissante, elle m’avait remis discrètement une sorte de ceinture munie de pinces avec laquelle j’étais censée pouvoir me débrouiller… Je ne partageais pas l’enthousiasme d’une camarade qui m’accueillit un matin dans un couloir de notre lycée en sautant comme un cabri et en claironnant : « Ça y est, je les ai, je les ai ! » Je subissais sans joie un événement qui revenait trop souvent à mon gré, nous privait de piscine et nous attirait les quolibets des garçons, alertés par nos fréquentes visites aux toilettes.

Comme la plupart des jeunes un peu ingrats de notre génération, nous ne connaissions pas notre bonheur…

A l’heure du confinement, je me suis empressée de rejoindre ma tanière d’aujourd’hui, vieille maison de schiste et d’ardoise dont je ne m’étais éloignée que pour vaquer ailleurs à des travaux urgents. La notion d’urgence a pris depuis une valeur relative… Dans ce hameau du Poher, seul un couple de voisins octogénaires très actifs au jardin met encore un peu d’animation. Nous nous saluons à distance réglementaire et entamons parfois un bout de conversation. A ma voix éraillée, je réalise alors que je n’ai pas parlé depuis longtemps – je téléphone peu, j’use davantage du message et du mail. J’ai des provisions qui me mettent à l’abri des miasmes de la ville pour un moment. Mais pas de télévision, ni de machine à laver. Alors le lundi, c’est jour de lessive. Quel plaisir de regarder le linge sécher au vent sur son fil ! Heureusement, je suis un peu ermite. Je tonds, je taille, je scie, je cloue, j’écris, je lis, je pianote sur mon diato… Je ne m’ennuie pas un instant. Mais ma provision de bois est épuisée. Le meilleur des radiateurs ne réchauffe pas une longue soirée solitaire comme la flamme d’un poêle. Alors je m’en vais ramasser des branchages abandonnés dans les fossés voisins. 

La vieille femme avec un fagot sur l’échine, aujourd’hui, c’est moi ! »


3 commentaires

APINES · 1 avril 2020 à 7 h 22 min

Douce expérience de confinement en pleine nature

DEMOULIN · 1 avril 2020 à 12 h 32 min

La jeunesse a cette faiblesse, celle de ne pas savoir ce qu’est le Jeunesse.
Aujourd’hui, alors qu’aucune côte n’est en vue, j’entends la chanson…

    Veissid Roselyne · 1 avril 2020 à 17 h 48 min

    En voilà un qui m’épate ! 😁

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