Terre, terre !

Si votre route des vacances passe dans le nord du Finistère, faites un détour par le château de Kerjean. Ce petit bijou architectural de la Renaissance abrite une collection de mobilier ancien exceptionnel. Il accueille aussi des expos temporaires dont la dernière « Terre ! « Terre ! Les conquêtes européennes au 16e siècle » invite à (re)découvrir l’histoire du monde à laquelle la Bretagne a grandement participé. Cette traversée se fait entre objets anciens, films d’animation, multimédia et œuvres contemporaines.

Le monde est merveilleux. Au premier étage du logis seigneurial, d’étranges créatures marines accueillent les visiteurs. Baleine, morse ou encore serpent de mer géant issus de la carte marine d’Olaus Magnus sont projetés en grand format. Deux ouvrages anciens consacrés aux poissons dont La première partie de l’Histoire entière des poissons de G. Rondelet témoignent de la vision inquiète que les hommes avaient de la mer. https://www.jose-corti.fr/titres/carta-marina.html

En route vers l’aventure ! La visite se poursuit dans la garde-robe, avec le film d’animation Périples des premiers explorateurs qui décrit l’incroyable épopée des navigateurs européens. En un peu moins de 100 ans, ils ont découvert de nombreux territoires et réalisé les premières circumnavigations. Suite à la découverte de ces territoires, l’expansion européenne prend alors deux visages : la conquête militaire, incarnée par les conquistadors, et la conquête spirituelle, par les missionnaires. Une spectaculaire armure espagnole (prêtée par le Musée de l’Armée) évoque la force de ces impitoyables gaillards, comme Hernán Cortés au Mexique ou Pizarro au Pérou, capables de supporter un poids pareil !

http://www.vivamexico.info/Index1/hernan-cortes.php

https://www.voyage-perou.com/info/histoire/francisco-pizarro

Dans la salle suivante, la conquête des océans s’intéresse aux progrès techniques maritimes. Sur une grande table inspirée des tables à cartes, sont présentés une vue en coupe de caravelle, des instruments de navigation : bâton de Jacob et astrolabe nautique, ainsi que la reproduction d’un portulan. Deux beaux atlas appartenant à la bibliothèque de Saint-Brieuc, dont Theatrum Orbis Terrarum, d’Abraham Ortellius soulignent le lien entre les marins et les cartographes. Le parcours se termine avec un diaporama présentant les cartes et guides nautiques réalisés par Guillaume Brouscon, cartographe du Conquet au 16e siècle – un peu passé aux oubliettes, mais pourtant majeur https://htba.fr/1543-guillaume-brouscon-arcasone/

1492. La date est encore plus facile à retenir depuis la sortie du film de Ridley Scott ou notre Depardiou national incarne Christophe Colomb. Je me souviens du ralenti un peu ridicule au moment où il pose sa grosse papatte sur le sol du « nouveau monde » après un long périple en mer. En tous cas, ce premier pas lançait le début d’une nouvelle ère, celle d’une première mondialisation marquée par ces conquêtes européennes. Alors que d’autres empires, sur d’autres continents auraient également pu se lancer dans une entreprise de domination, pourquoi seuls les Européens s’embarquent-ils pour la conquête du monde ? Enjeux économiques, goût de l’aventure, désir de conversion à la « vraie » religion… Les raisons de ce désir sont multiples mais reposent beaucoup sur l’appât de l’or.

C’est d’ailleurs le sujet de la salle en haut de l’escalier d’honneur, intitulée Soif de monnaie. Dès le milieu du 16e siècle, les mines américaines d’or et d’argent approvisionnaient Séville en matière première pour battre les réaux, la monnaie espagnole (pièces prêtées par le Musée de Vannes)

Dans la pièce aux boiseries bleues, consacrée aux « Marchandises à profusion », une grande carte présente les parcours des compagnies commerciales européennes. Un film d’animation dévoile leurs différentes stratégies. On y découvre également des objets d’export réalisés en Asie pour le marché européen (Le couronnement de la Vierge en ivoire, réalisé par des artisans indo-portugais à Goa et des porcelaines en provenance d’ateliers chinois de Jingdezhen). Plus loin, les découvertes botaniques sont évoquées avec le jeu Le voyage des plantes qui retrace le circuit de l’ananas, du tabac, du chocolat, du café et du manioc. L’importation de ces nouvelles espèces sur le vieux continent a entraîné le bouleversement des habitudes alimentaires que l’on sait

Dans la dernière salle, on aborde la naissance d’un nouveau monde, celui d’une société métissée.  l’artiste Sylvie Ungauer y présente L’Éternel voyage,  sculpture habitable faite de matériaux modestes évoquant un « chez soi ». Mouais… Un côté trop « activités pour jour de pluie en colo » à mon goût.

Notez que cette expo est présentée en français, breton et anglais. Elle entre dans un cycle de trois expositions sur « l’élargissement du monde à la Renaissance ». En 2021, le thème était « En terre inconnue ? Le monde au 15e siècle ». Cette année, c’est donc le 16ème siècle et l’an prochain, ce sera « La relation aux autres à la Renaissance.

Avant d’y aller, je vous conseille de réviser vos connaissances en  histoire.

Les Portugais et les Espagnols font figure de pionniers de l’expansion européenne. Henri le Navigateur (1394-1460), prince du Portugal, favorise activement les voyages d’exploration outre-mer. Les marins au service de la Couronne cherchent un passage vers l’Asie le long de la côte ouest de l’Afrique. Le royaume d’Espagne, suite à la Reconquista en 1492, envisage à son tour des conquêtes territoriales et spirituelles.

La même année, Isabelle la Catholique finance l’expédition de Christophe Colomb. La suprématie ibérique s’affirme par la signature du traité de Tordesillas (1494), sous l’égide du pape Alexandre VI, visant à partager le « Nouveau Monde ». Celui-ci est considéré comme terra nullius, c’est-à-dire terre sans maître, et est réparti entre les deux puissances coloniales émergentes au détriment du reste de l’Europe.

Dès la fin du 15e siècle, les Portugais et les Espagnols maîtrisent les grandes routes maritimes, allant de l’Amérique à l’Asie en passant par l’Afrique. Elles leur permettent de mettre en place un réseau d’échanges commerciaux, précurseur d’une économie mondialisée. L’Espagne exerce une domination planétaire. En effet, en possédant la majorité des terres d’Amérique et quelques îles du Pacifique, ses galions assurent des lignes commerciales régulières entre Manille et Acapulco, et entre le Mexique et le Pérou vers Séville. En 1580, le Portugal est associé à la Couronne d’Espagne, faisant de ce royaume le plus riche d’Europe, implanté dans le monde entier. Il faut attendre la fin du siècle pour voir les royaumes de France, d’Angleterre et la République de Provinces-Unies se lancer dans le commerce outre-mer.

Avec ces voyages, les mystères du monde se dissipent progressivement faisant sortir définitivement l’Europe du Moyen-Âge. Le basculement dans l’Époque moderne a lieu dans un espace plus rationnel. Pour autant, rien n’est totalement maîtrisé et cette première mondialisation verra éclore de nouvelles sociétés, à la faveur des aléas des rencontres.

De nos jours, l’« exploration » est souvent revendiquée dans le monde de l’art contemporain. Pour le meilleur et pour le pire – comme au château de Kerjean ! Je vous invite à découvrir les artistes de cette sélection – réalisée en partenariat avec Passerelle Centre d’art contemporain, Brest https://www.cac-passerelle.com/

Quentin Montagne (né en 1987), vit et travaille à Rennes. Sa pratique est construite sur la citation et la transposition. Il sélectionne, dans les champs de l’histoire de l’art, de l’architecture et de la culture de masse, des éléments liés au Merveilleux, un terme à entendre comme tout ce qui se rapporte, pour l’individu, aux différents modes d’évasion du réel immédiat. L’artiste utilise essentiellement la peinture et le dessin. Ici, on voit ses Décors d’aquarium, réalisé en 2014 avec stylo Bic sur papier

Mohamed Bourouissa (né en 1978). Né en 1978 à Blida en Algérie, il a grandi à Courbevoie (92) et vit à Paris. Diplômé de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, spécialisation photographie, il explore (MCB : je vous avais prévenus !) également le dessin, mais aussi la sculpture, la vidéo et le film. Une première exposition lui fut consacrée au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, https://www.mam.paris.fr/, intitulée Urban Riders. Colonisation, libéralisme, mass-médias, banlieues et précarité sont diverses problématiques abordées dans ses œuvres.

Sven’t Jolle (né en 1966) Né en Belgique, Sven’t Jolle suit des études artistiques à l’Académie royale des Beaux- arts de 1986 à 1990. À partir de la sculpture, parfois d’autres médiums également, l’artiste amenuise la frontière qui sépare le domaine de l’esthétique de l’engagement social. Il s’inspire du quotidien et pratique l’art du décalage pour mettre en lumière les dérives de la société néo-libérale. Il vit aujourd’hui à Melbourne en Australie. On aime son (Casse-toi alors) pauvre canard !

Sylvain Le Corre (né en 1988) vit et travaille à Lorient. Diplômé de l’École supérieure d’art de Bretagne en 2014 – avec les félicitations du jury. Il participe à de nombreuses expositions personnelles ou en duo en Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et la région Grand-Est. Sylvain Le Corre « observe et photographie les détails insolites, les curiosités naturelles, les anomalies du monde animal, végétal, minéral, pour ensuite recréer à l’atelier, à travers le dessin, l’aquarelle, le volume, ses cabinets de curiosités, ses mondes fantasmés ».

Pour conclure, comme en Bretagne il fait chaud, pour vous désaltérer, je vous recommande l’achat à la boutique du château, des bières brassées à Brest dont l’esprit est bien voyageur aussi – déjà dans le nom de la brasserie « En bières inconnues » https://enbieresinconnues.fr/ Une sacrée découverte !

https://www.saint-vougay.fr/visiter-se-cultiver/le-chateau-de-kerjean/,


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