Aujourd’hui, c’est Dominique Boscher qui nous écrit de Rennes. Dominique est un pur produit de mes relations engendrées par l’association Carré VIP – Vieilles pies, et renforcées par Facebook. Ses posts sont d’une beauté et d’une poésie rares. Alors, je l’ai sollicité pour ce « coronavardage ». Elle a d’abord hésité, prétextant qu’elle n’a « pas grand-chose à dire » !

« Je suis l’archétype de la petite bonne femme qui a eu une vie des plus ordinaires et qui ne sait rien, mais alors rien, faire de ses dix doigts. Par flemme. Voilà : je suis une flemmarde. Je sais lire, quand même, c’est une activité qui ne demande pas beaucoup d’effort (du moins physique). Lire et regarder ce que font les autres. Admirer. Et être curieuse. Tout ça en flânant. Ma vie se passe en flânant (en retraite c’est facile !). »

Puis elle s’est ravisée et m’a envoyé un joli texte sur ses balades quotidiennes, précédé de cette nouvelle présentation

« En 1969 j’ai entamé des études de Lettres Modernes à l’Université de Rennes II Villejean, payées par l’exercice du pionnicat à Lorient. Lorient, j’y suis restée 8 ans, j’y ai enfin sorti la tête de mes livres, où j’étais plongée depuis que je savais lire, et j’ai découvert la vraie vie (les amis, la fête – les festou-noz surtout) et l’amour… qui fut fatal à mes études (et failli m’être fatal tout court). Mais j’en ai ramené un bambino qui a aujourd’hui… 45 ans. Et en 1977, retour au bercail, à Rennes. Il fallait bien l’élever, le bambino, alors nouvelles études, Secrétariat de Direction, d’où 16 ans à gérer un cabinet d’assurance, avec des contacts fabuleux avec mes clients – dont certains sont encore mes amis, 30 ans après ! En 1995, j’entre par hasard comme agent administratif intérimaire à la Mairie de Rennes, service voirie. Quelques concours et dix-huit ans plus tard, me voilà en retraite en 2013. Rien de très créatif, dans tout ça : à part les liens humains, je ne sais rien créer, à mon grand regret. Mais je sais au moins lire, c’est une source permanente de joie, de découvertes, de voyages dans le temps, l’espace, le farfelu, le rêve… Lire, et regarder, et admirer ce que font les autres. Je suis une spectatrice plutôt qu’une actrice, et ça me convient. Vivre en flânant… »

Et alors, comment vis-tu cette période, Dominique ?

« Le confinement ne me pèse pas trop. A moi. Mais je pense aux personnes très âgées qui à cause de handicap n’ont plus d’activités. Aux femmes soumises à la violence de conjoints – c’est en train d’exploser ! et bien entendu à tous les gens, soignants en tête, mais aussi caissiers, livreurs etc. qui s’occupent de nous.

Rester à 1 km de son domicile ne laisse pas une grande latitude pour une promenade. Mais j’ai la chance d’habiter à Rennes un quartier de petits immeubles, parsemé de nombreux espaces verts, planté de beaucoup d’arbres et sillonné d’agréables allées sablées.

Pour moi, pas question de faire du jogging ! c’est une heure où je flâne, m’arrêtant tous les trois mètres pour observer tout ce qui se présente : la diversité de la décoration des balcons, certains tout fleuris, d’autres très très kitsch ! Et puis au pied des immeubles, les milliers de pâquerettes, tapis blanc sur la verdure, que les jardiniers de la Ville laissent enfin fleurir tranquillement, au lieu de les décapiter tous les trois jours, à peine sorties de terre.

Longeant une allée, je passe devant l’école primaire où sont allés mes petits-enfants, qui habitent chez leur maman, juste en face. Aujourd’hui, l’école est vide et silencieuse. Depuis deux semaines, de chez moi, je n’entends plus les cris aigus et joyeux des enfants, qui rythmaient mes journées à l’heure des récrés. Pas besoin de regarder l’horloge, je savais quand il était temps que je lève le nez de Facebook !

Sur le tableau d’affichage, à côté de la grille d’entrée, le menu de la cantine, du 2 au 6 mars, est encore affiché. Comme si le temps s’était arrêté là. Et puis à côté, une grande affiche jaune, manuscrite, informant les parents qu’un des enfants, Tigran, va devoir quitter l’école où il est scolarisé depuis trois ans. Sa famille doit être expulsée. En écho, de l’autre côté de l’allée, accrochés à des fils tendus entre les arbres, des dessins et des mots des petits camarades de Tigran bougent au gré du vent. Ces dessins et ces mots serrent la gorge. Où est-il, cet enfant, aujourd’hui ?

La semaine dernière, une grande et épaisse enveloppe était solidement scotchée à la vitre du tableau d’affichage, adressé à une petite Asnaa, contenant des exercices à faire et des corrigés… L’éducation continue, tant bien que mal !

Je reviens un peu sur mes pas, car j’ai cru apercevoir des violettes entre les pieds des grands arbres. En effet, tout un parterre, magnifique. Je me vautre dessus… en photo ! et puisque je suis là j’envoie un sms à ma petite-fille, dont la chambre donne de ce côté. Avec un peu de chance… oui, elle ouvre sa fenêtre pour me faire un grand salut de la main. Je suis toute contente. Confinement oblige, malgré la proximité, je les vois rarement et ils me manquent.

Je continue ma virée, en passant derrière un petit centre commercial, où le confinement ne semble pas du tout être de mise. « Activités commerciales de rue » obligent ! Grrr…Passons…

Et me revoilà bientôt devant ma porte. Un petit tour de l’espace vert sous mes fenêtres, le temps de constater que les rats (oui, c’est moins romantique que les violettes, mais ils sont là aussi !), que les rats donc ont refait leurs trous, que les jardiniers avaient complètement bouchés il y a un mois. Je me demande où ils se terrent ? Bon, laissons les tranquilles, je ne tiens pas à les voir.

Autour du gros camélia, un petit plant de primevère grandit, mais pas encore de fleur… par contre, à côté, une plante que je ne connais pas, présente un joli bouton rouge, qui éclate au milieu de ses feuilles vert sombre. Je me demande si ce n’est pas un petit camélia ? Une dernière photo puis retour entre mes quatre murs. Et maintenant, un thé, et lecture. Tiens, je vais (re)lire Robinson Crusoé… le comble du confinement, non ? »


4 commentaires

Gohier · 3 avril 2020 à 20 h 11 min

Ahah je te retrouve bien là dans ton texte sauf que tu as omis ton amour de la Grèce et des familles royales… quant au Banbino (deux fois cité quand même) le mot m’a fait rire et je ne manquerai pas de l’utiliser quand je le rencontrerai… bientôt j’espère… bisous Dalida
Merci Marie-Christine de ces coronatextes…
Nadia

    Marie-Christine · 4 avril 2020 à 12 h 17 min

    Merci Nadia! Je note de demander à Dominique une trilogie (une lettre sur la Grèce, une autre sur les familles royales)

APInes · 3 avril 2020 à 21 h 19 min

Très plaisant à lire ce passage à Lorient, cette balade fleurie, sans oublier l’image souriante du coucou à la fenêtre !

Répondre à La mort du monde impérialiste – Marie-Christine BIET Annuler la réponse

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