Elle a été journaliste au Télégramme dans une vie antérieure. Mais j’ignorais qu’elle a eu une vie encore antérieure à celle-ci ! Dans ce savoureux article, Roselyne Veissid raconte ses tribulations d’hôtesse entre Paris et Strasbourg et révèle qui a initié cette Parisienne à la langue bretonne.

MCB

Hôtesse Corail

Il fallait être un peu motivée pour voyager en train les jours derniers. Je l’étais… Et tandis que défilaient (enfin !) sous mes yeux des paysages monotones entaillés par la longue balafre ferroviaire, je rêvais aux temps anciens, quand ma vie quotidienne était rythmée par les horaires de la ligne Paris-Strasbourg.

Ah, les beaux jours ! Le sourire en bandoulière et pleins de cœur à l’ouvrage, mes collègues et moi abordions chaque voyage comme une aventure nouvelle. L’un officiait au bar, l’autre se chargeait du service des repas « à la place » dans les voitures de première classe. Nous étions des hôtesses et stewards Corail. Les voyageurs n’avaient aucun mal à nous identifier, tant nos robes ou nos vestes à carreaux turquoise crevaient les yeux !

Mieux valait ne pas rester les deux pieds dans le même sabot. Le train à peine lancé, la première tâche était une formalité : diffuser au micro, de sa voix la plus suave, l’annonce classique : « La compagnie des Wagons-Lits est heureuse de vous accueillir à bord de ce train-Corail … » etc. Intimidée au début, j’avais fini par y prendre goût. Dans la voiture-bar, c’était bientôt le défilé : sandwichs, bière, café, que les consommateurs, chaloupant comme des mousses mal amarinés, emportaient en s’efforçant de ne rien renverser.

En première classe, le rituel était différent : nous réchauffions au four des cassolettes au contenu appétissant (je me souviens d’un lapin aux pruneaux doré et parfumé qui me tentait particulièrement) et parcourions la voiture avec nos plateaux sur lesquels trônait ce mets brûlant. Le plus ardu était de tenir une comptabilité juste et de procéder aux encaissements avant l’entrée en gare : les hommes d’affaires pressés ne nous faisaient pas cadeau d’une minute de leur temps précieux !

Quelquefois, la mission était plus ingrate : dans les trains de nuit, dépourvus de bar, nous passions de wagon en wagon avec un chariot à roulettes lourdement chargé de boissons et de victuailles. Quelle épreuve que d’arpenter les couloirs encombrés de ces « trains à bidasses » qui empestaient la sueur, la chaussette sale, et souvent bien pire ! Jetés dans tous les coins, entremêlés, abandonnés au sommeil ou à l’ivresse, les soldats rentrant de permission et leurs bagages rendaient la progression difficile. Ceux qui ne dormaient pas avaient quelquefois la main baladeuse. Je les remettais à leur place, sans me formaliser outre mesure.

Mais en débarquant à destination, j’oubliais ces petits tracas. La pittoresque ville de Strasbourg, ou, lorsque Nancy était le terminus, la flamboyante place Stanislas nous ouvrait les bras. Hôtel, restaurant : la compagnie avait passé des accords avec des établissements assez modestes, mais j’avais l’impression de mener la grande vie. Bien sûr, des idylles se nouaient parfois. Gare de l’Est, à Paris, les boîtes aux lettres individuelles où nous trouvions ordres de route et notes de service accueillaient aussi des courriers moins austères ! Pour voyager avec l’élu du moment ou pour avoir une chance de le retrouver à l’étape, il fallait se livrer à toute une gymnastique d’échange de trains avec les collègues les plus conciliants.

À Strasbourg, la soirée se prolongeait parfois en boîte de nuit. Mais le plus souvent, je faussais compagnie à mes camarades et je rentrais sagement à l’hôtel, car j’avais un rendez-vous secret. Chaque soir, je consacrais une heure à un vieux prêtre presque octogénaire, un certain Visant Séïté, qui, au fil d’une correspondance annotée de sa petite écriture rouge, m’enseignait les rudiments de la langue bretonne !

R.V.

 


1 commentaire

Rennette · 17 mars 2023 à 17 h 15 min

Ah le rendez-vous secret ! De quoi faire bisquer les copines ou collègues…

Les trains à bidasses j’ai connu ça sur la ligne Reims/Paris quand je n’osais même pas quitter mon compartiment pour éviter de passer sur les dormeurs, de côtoyer les insomniaques, refuser leur troupe 🚬etc…

Ça avait quand même une certaine élégance, et puis prendre son temps, ne pas subir les insupportables écrans etc…

Joli souvenir

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