Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre d’Anne Quéméré, une femme formidable qui a traversé à plusieurs reprises l’océan atlantique à la rame et en kite boat. Pour elle, c’est évident, « tout le monde peut le faire » ! Modeste et géniale, quoi. Son dernier défi ? Passer d’un océan à l’autre – l’Atlantique et le Pacifique – par le périlleux passage du nord-ouest, à bord d’un bateau solaire. Elle est à l’aise comme un poisson dans l’eau sur les pas de Roald Amundsen mais appréhende tout le temps de prendre le Paris-Quimper, car c’est vrai, quand elle monte dans le train, vous pouvez être sûr qu’il n’arrivera pas à l’heure (ce qui fait beaucoup rire ses amis sur Facebook) !

Cette passionnée d’écologie vit son confinement au Bout du Monde, dans ce Penn ar Bed où les éléments se déchainent, où le soleil se couche en flamboyant, où les pêcheurs partagent leurs poissons.

Confinement quand tu nous tiens !

Mardi 17 mars 2020, tous les Français.e.s sont appelé.e.s à rester à la maison. Le confinement est officiellement annoncé par notre gouvernement. Les hashtags #restezchezvous, #jerestechezmoi, #confinementtotal, #covid19 fleurissent sur les réseaux. C’est la stupeur dans tous les foyers ! L’heure est grave. Ce virus dévastateur, pris jusqu’à ce jour avec une certaine légèreté par beaucoup d’entre nous, devient tout à coup l’ennemi public n°1, un combattant de l’ombre pernicieux et mortel qui s’abat et fait tousser notre pauvre monde déjà essoufflé.

Comme la majorité des Français.e.s, je me retrouve confinée. sans réaliser encore ce que cette situation implique réellement. Résidant dans un petit hameau à la pointe du Finistère, je file jusqu’à la ville la plus proche faire quelques achats. Sans céder à la panique générale, je contemple ahurie les nombreux rayons délestés de leurs marchandises et découvre au détour des allées des visages masqués aux regards brumeux. Ma première pensée est que le monde est en train de devenir fou. La seconde est qu’il est hors de question que je me laisse gagner par cette atmosphère anxiogène. Pourtant quelque chose a déjà changé en moi. Le matin même, pour la première fois, j’ai rédigé une liste de courses. Jamais jusqu’à présent je n’avais accompli pareille chose, jamais il ne m’était venu à l’idée d’anticiper les menus de toute une semaine, exception faite lors de mes navigations au long cours, en solitaire, lorsque je devais embarquer mon avitaillement pour deux ou trois mois. Mais cette fois, je ne prends pas la mer… Je reste à terre, isolée au bout du monde.

Les premiers jours passent à la vitesse de l’éclair. J’entreprends mille et un projets que je remettais sans cesse au lendemain. Je m’active, dépoussière la maison de la cave au grenier, range, nettoie, astique et brique… Jusqu’à ce que chaque recoin de mon penty resplendisse comme un sou neuf ! Ayant le privilège d’avoir un petit jardin et de profiter d’une météo clémente, ce qui ne nous était pas arrivé dans le Cap Sizun depuis l’automne, je tonds la pelouse, taille les haies, plante, déplante, replante et vais même jusqu’à repeindre le mur du jardin… Une couche, deux couches, trois couches… J’épuise mes derniers pots de peinture. Mon petit mouchoir de poche n’avait jamais reçu autant d’attention, il n’a désormais plus rien à envier aux jardins de Versailles.

Vient alors le temps de se poser, d’écouter les oiseaux gazouiller, d’observer la Nature qui se fiche bien de la tragédie humaine qui se joue… Nous n’en sommes alors qu’au huitième jour de confinement sur les quinze annoncés initialement et je comprends alors, en lorgnant les nouvelles sur les réseaux, que celui-ci va jouer les prolongations et certainement se renforcer. Ma famille et mes amis avec lesquels je suis en lien téléphonique beaucoup plus régulièrement qu’auparavant confirment mes inquiétudes. Nous ne sommes pas encore entrés dans le vif du sujet, le pic de la pandémie est attendu bientôt… Dans les prochains jours ? Les prochaines semaines ? Impossible d’en connaître la date exacte, cette catastrophe planétaire est bien trop complexe pour se contenter de statistiques aussi arbitraires que hasardeuses. Il va falloir user de patience et accepter le fait qu’ici bas, on ne contrôle plus grand chose. Pendant ce temps, les scientifiques du monde entier sont à pied d’œuvre, les gouvernements s’empêtrent dans des directives que certains citoyen.ne.s prennent un malin plaisir à enfreindre tandis que le personnel hospitalier, corvéable à merci et doté de moyens pitoyables, se donne sans compter. Les réseaux fourmillent de bons conseils, d’infox, de divagations diverses où chacun vomit son fiel, émet un avis, écrit ses angoisses, partage ses extravagances. Le citoyen ne sait plus à quel Saint se vouer, les rumeurs enflamment les esprits, le bon sens n’est plus de rigueur. Notre humeur passe par toutes les nuances de gris.

Arrive le neuvième jour de confinement… Il est encore tôt le matin lorsque le tintement de la cloche du jardin déclenche les aboiements furieux de mes compagnons à quatre pattes. Qui peut bien venir jusqu’à chez moi en ce moment et à une heure aussi matinale ? Ce n’est que mon voisin. Il est ligneur professionnel. Il rentre de mer et la criée d’Audierne étant fermée, il me crie à distance : « J’ai du poisson pêché tout frais ce matin, j’ai décidé de l’offrir à qui veut dans le hameau ! Je t’en dépose deux ? ». Et comme par magie, deux superbes lieus atterrissent sur mon muret de pierre. J’ai envie de courir embrasser mon généreux donateur, mais le moment ne s’y prête pas et je dois me contenter de le remercier. Quelques mots prononcés qui me paraissent bien fades face à ce cadeau immense. L’idée d’un délicieux déjeuner me fait bien-sûr saliver, mais ce qui me touche plus profondément, c’est le geste. Un geste qui dénote une belle générosité et qui, à l’heure où chacun.e se terre chez lui empli.e du sentiment étrange de devenir insignifiant.e, presque transparent.e, il redonne du baume au coeur.

Ainsi de véritables amitiés vont naître et se renforcer…

Anne Quéméré

Retrouvez Anne sur www.annequemere.com et sur YouTube :

  • Oser ses rêves pour qu’ils deviennent réalité | Anne Quéméré | TEDxMarseille ICI

  • Le passage du Nord-Ouest en canoë d’Anne Quéméré, navigatrice ICI

  • L’Atlantique Nord en kite-boat en solitaire – Anne Quéméré ICI

  • Arctic Solar by Icade – Tout Icade derrière Anne Quéméré ICI


4 commentaires

Apines · 28 mars 2020 à 17 h 56 min

Chaque jour, une aventure différente, il fallait y penser, merci Marie-Christine ! Ce que j’apprécie particulièrement c’est la diversité des choix retenus et leur grande qualité. Hier on était sur l’eau, aujourd’hui sur terre avec un retour de pêche qui nous ramène à l’eau sans compter la limpidité du texte ! Merci à Anne Quéméré pour la sérénité qui se dégage de ce très joli texte. Et pressée d’être à demain 😘

    MCB · 29 mars 2020 à 0 h 27 min

    Oh mais demain, c’est dimanche! Du coup, je vais faire un petit billet vite fait. J’hésite enter une recette ou une chansonnette?

Léonore · 1 avril 2020 à 16 h 53 min

Superbe texte, merci Anne ! et MCB pour la transmission

Je vous écris de chez moi #55 bis – Marie-Christine BIET · 10 mai 2020 à 17 h 44 min

[…] tour du monde plutôt cosy n’a rien à voir avec le périple à la rame d’Anne Quéméré (https://www.mariechristinebiet.com/2020/03/28/je-vous-ecris-de-chez-moi-7/)  mais c’était en […]

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